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Adeline
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Essayez les nouvelles smart lenses ! Empty Essayez les nouvelles smart lenses !

Jeu 26 Oct - 16:04
1er janvier 2056,
Rien n’a changé par rapport à la veille.
Chaque année c’est la même chose, le même refrain. On se souhaite une joyeuse fin du monde. Mais rien ne change, rien ne bascule, s’ébranle. Cela en devient grotesque. Mais qu’y faire ? Les gens autour de nous ne veulent pas changer. On proclame haut et fort le changement, on affiche la volonté de changer – couleurs chatoyantes, slogans attractifs, musique suave – mais rien ne change. Même refrain. Inlassablement.



Premiers mots de cette nouvelle année. Beluck a pris l’habitude, depuis qu’il a été nommé au Comité de Correction de l’Académie Etatique (CCAE), de commencer chaque journée en dictant dans son journal virtuel quelques mots. Il recueille ses premières impressions de la journée, ou celles de la veille.
Beluck avale une gorgée de café. Sordide, le café. Beluck l’achète instantané ; il trouve qu’il irrite moins la gorge ainsi. Le produit de synthèse a moins de goût, même si son entourage le dit plus nocif.  
Son regard se porte sur un nouvel écran. Les nouvelles. Les Etats-Unis sont encore en pleine guerre civile, malgré les accords de Harrare conclus il y a peu. La Chine ne parvient pas à sortir de la crise économique et semble décidée à se scinder en différents Etats. L’Union fédérale du Moyen-Orient fête ses trente deux ans de paix. En France, la nouvelle démocratie de 2026 est au plus haut dans les sondages. L’Assemblée populaire prépare ses successeurs grâce à un voyage initiatique au Zimbabwe. Encore une fois, Beluck constate que rien n’a changé. Les mêmes rengaines sont une nouvelle fois de sortie.

Agacé, il porte à nouveau son regard sur un écran différent. Bariolé, celui-ci. Loufoque même. Amusé, il entend une voix féminine réciter l’horoscope du jour. « Sagittaire : il est l’heure pour vous de sortir de votre trou. »
Pour la première fois depuis bien longtemps, Beluck est surpris. « Sortir de son trou », comment ça ? De quel droit ce galimatias sorti d’un programme informatique aléatoire et périmé lui enjoint-il de quitter son chez-soi !
Pris d’une colère soudaine et inattendue, l’homme se ravise. Pourquoi pas ? Après tout, l’heure du changement n’est-elle pas venue ? Affiché, chanté, endoctriné… il est grand temps d’aller voir ce célèbre changement !

Beluck sait que cela est malvenu : « sortir ». Enfin, sortir dans le vieux sens du terme. Aller dehors, au grand jour. Comment mieux définir « sortir » ? Il n’y arrive pas. Ce vieux terme n’a plus aucun sens aujourd’hui. Comment comprendre un mot hors de son contexte initial ?
« Aller dehors » : il y a bien un dehors aujourd’hui, on appelle cela les « rues ». Longs couloirs connectés, animés de façon virtuelle, permettant la circulation entre les différents édifices. « Au grand jour » : grâce aux lentilles électroniques ou smart-lenses sont diffusés images, sons, données multiples. Le grand jour nous donne donc accès à toute l’actualité de la semaine, aux informations indispensables pour se déplacer et consommer de manière agréable, et à des images qui permettent d’embellir nos rues.  
Beluck se dit que « sortir » signifie peut-être justement aller dehors sans le masque habituel, c’est-à-dire sans les smart- lenses.

On sonne à sa porte. Soudain Beluck se rappelle qu’aujourd’hui c’est vendredi bleu. Trois jeunes filles se présentent à lui, souriantes. Elles semblent être trois nouvelles recrues de l’ASCA (Assistance Solidaire de Compagnie Active mise en place par la nouvelle démocratie en  2035).
Evénement mensuel, il a l’habitude d’accueillir les jeunes filles du vendredi bleu. C'est lui-même, il y a déjà plusieurs années, qui a sollicité leur service auprès de l'Etat. Mais aujourd’hui, cette visite lui paraît plus pénible, douloureuse même. Beluck n’a pas envie de se prêter à ce jeu-là.
Mais il les accueille, poliment, chez lui. Il leur offre à boire – soda no limits élaboré seulement à partir de molécules de synthèse, saveur plantes de la savane et sucre des îles – fait semblant de les écouter et d’être charmé. Leurs lèvres charnues, rendues roses et brillantes pour l’occasion, se trémoussent devant lui, s’ouvrent et se ferment sur des dents d’une blancheur acide. Elles lui déplaisent aujourd’hui.
Il se demande qui elles sont en réalité. Sont-elles de véritables jeunes filles ? des jeunes femmes ? des femmes matures ? ou des vieilles femmes qui profitent des avancées technologiques pour apparaître déguisées en de belles pucelles ? Toute cette réalité augmentée, déformée, ça lui donne envie de vomir aujourd’hui. Il a envie d’aller voir derrière les apparences, et non pas de se laisser charmer par celles-ci. Il entend de nouveau la voix féminine de l’horoscope réciter en lui : « Sagittaire : il est l’heure pour vous de sortir de votre trou. »

« Sortir de son trou ». Beluck se demande encore comment il est possible que le CCAE, auquel il appartient, n’ait pas ajusté le terme de « trou » pour qualifier les logements créés et mis à la disposition des citoyens par la nouvelle démocratie dès l’an 2027.
Beluck sourit. « Trou », voilà un qualificatif plus qu’approprié pour parler des logements-démocratie. Trou, terme en une syllabe pouvant qualifier à merveille l’unique pièce à vivre de Beluck. Il est vrai que sa moquerie est un peu injuste : si la nouvelle démocratie a mis en place ces minuscules logements, c'est en raison de la crise migratoire. Beluck s'en souvient bien, le nombre de réfugiés avait alors explosé en raison des conflits issus des premières conséquences du réchauffement climatique.

Ayant donné congé aux filles de l'ASCA, Beluck se retrouve à nouveau seul chez lui. La petite phrase de l'horoscope continue de tourner en boucle en lui. "sortir de son trou" "changement" "sortir au grand jour" : les mots se font cajoleurs.
Il le sait que le monde de dehors est devenu une réalité augmentée. Mais jusqu’à quel point le sait-il vraiment ? Le décret Carnom de décembre 2055 a instauré le port des smart-lenses obligatoire - mesure qui ne sera rendue effective qu'en mars 2056. Mais cela fait de nombreuses années que Carnom a fortement encouragé ses concitoyens de porter des smart-lenses et il les a ainsi reconnu d'utilité publique. Ce choix pris par la nouvelle démocratie visait avant tout à faire des économies (baisser notablement la dette publique), à prendre en compte les enjeux environnementaux (décision votée lors de la COP 31) et à améliorer le confort quotidien de la population.
Et s’il passait de l’autre côté ? Et s’il regardait le monde tel qu’il est, c’est-à-dire sans ses lentilles électroniques ? Comment est la réalité sous les apparences ? – sous ses apparences qui embellissent, trompent, mais qui sont devenues nécessaires à la vie de tous les jours -  


***


1er janvier 2056
Bonne année. Les yeux collants et les paupières sèches, Nurik se réveille difficilement. La veille au soir a été une véritable célébration de la vie et Nurik a entendu sans vraiment écouter les classiques et indémodables « Bonne année, bonne santé, que cette année soit meilleure que la précédente ». Tous les ans c’est le même refrain. A trente ans passés, cette ritournelle l’exaspère.

La membrane posée sur ses orbites oculaires déforme sa vision des choses, au sens propre, car ses lentilles sont toujours sur ses iris. Dans l’effervescence de la fête et d’un sommeil précipité, Nurik a oublié de les retirer. Désormais, à cause d’un surplus de liquide lacrymal, il voit dans son appartement des meubles flous, un intérieur pâle et quelques données s’affichent çà et là.

Rares sont les Français n’étant pas équipés de ces lentilles, appelées aujourd’hui smart-lenses, qui permettent entre autres de surfer sur le net par mouvements oculaires. L’adaptation a été assez difficile mais il paraît qu’il en fut de même lors de la révolution numérique dans les années 2000.

Nurik va vers la salle de bain, une pièce exiguë dans laquelle trône une cuvette dernier cri. A côté, la douche est écrasée entre le mur et le miroir anti-buée. Nurik dépose ses lentilles dans le contenant approprié, se douche, éponge l’eau sur le sol, s’habille et sort. Il espérait que la douche aurait eu un effet revigorant mais finalement il n’en est rien. Nurik a toujours l’esprit embrumé par l’alcool de la veille. Il repense à plusieurs moments de la soirée, parfois honteux, parfois joyeux, tout en fermant sa serrure à clé. Une fois sur le seuil, il se rend compte qu’il a les yeux nus, qu’il a omis de porter ses smart-lenses. Pas grave. Sortons.


***


Geste incongru en soi, devenu presque contre-nature : enlever en pleine journée les smart-lenses. Beluck s'en doute : cela revient à s'amputer d'une immense base de données. Sans les smart-lenses, il se retrouve nu. Le profil qu'il a choisi il y a quelques années ne s'affiche plus - ni pour lui ni pour les autres. Il ne peut pas non plus voir le profil des autres.

Sur le seuil de son logement, Beluck remarque de petites taches noires sur le mur du couloir. La porte d'entrée ne paraît plus être en noyer massif, mais en pin, bois quelconque et de mauvaise qualité. Le logement de Beluck donne sur le Grand Boulevard.
Beluck ne reconnaît pas cette grande rue qui lui est si familière. Les grandes enseignes des magasins et des restaurants ont disparu, ainsi que les panneaux publicitaires interactifs. De nombreuses façades paraissent délavées, voire vétustes. Mais il y a autre chose qui choque Beluck : tous les marronniers ombrageant le Grand Boulevard ont disparu.
La rue paraît incroyablement silencieuse. La musique et les réclames habituelles ne se font plus entendre. La voix de l'assistance GPS n'est plus là pour lui murmurer des mots doux, le rassurer et le guider jusqu'à son lieu de destination. D'ailleurs, Beluck ne sait pas où il veut se rendre ; il n'a pas encore choisi. Impossible de savoir dans quelle direction il va ou doit aller : aucune donnée ne s'affiche dans son champ de vision.
Beluck se rend compte que sans les smart-lenses il est perdu. Il décide donc de s'en remettre au "hasard". "Hasard" : n. m. ancien terme hors d'usage, qui qualifiait autrefois... Beluck hésite. Quelle définition donner à cette vieille croyance irrationnelle ? Les nouvelles technologies semblent avoir réussi un pari : éliminer de nos esprits toute forme d'irrationalité. En effet, les progrès scientifiques et techniques ne vont-ils pas de pair avec l'essor de la
raison ?

Les smart-lenses permettent d'être constamment connecté. Enlever cet objet revient à se déconnecter, c'est-à-dire à se retirer de tout réseau de communication ou encore à se couper à la fois des autres et du monde. Enlever les smart-lenses, c'est s'ôter une certaine visibilité, ou plutôt toute possibilité de visibilité. L'ensemble des citoyens et l'Etat ne peuvent plus alors prendre en compte l'individu déconnecté, il est comme hors jeu.
Par exemple, depuis qu'il a été élu membre du CCAE, Beluck a dû mettre à jour son profil, ce qui lui a valu d'être demandé en partner par plusieurs centaines de personnes. Les demandes de conversation envoyées par des inconnus sont alors devenues incessantes. Beluck a donc eu recours à la nouvelle génération de filtre anti-fâcheux. Ainsi, aujourd'hui il est sollicité par ses seuls partners intimes.  
Beluck se dit qu'enlever les smart-lenses, c'est ne plus exister. Ne plus apparaître. Devenir invisible, pour tous. Un frisson traverse Beluck : un frisson de peur et d'excitation. Il repense à l'un des jeux de son enfance : jouer au fantôme. C'est cela, pense Beluck, ôter les smart-lenses, c'est devenir un fantôme au sein de la société.
Beluck se dit encore que c'est comme si un cauchemar devenait réalité : sortir de chez soi et côtoyer les autres en pyjama ou, pire encore, tout nu.  

Pour se rassurer, Beluck repense aux vieilles traditions philosophiques. Tout semble se passer comme si, lui, Beluck, membre du CCAE, avait été choisi pour accomplir une expérience. Tout comme le philosophe d’alors, il a pour tâche d’observer sa société avec des yeux étrangers. Ne dit-on pas aujourd’hui, d’une personne étrangère aux pratiques d’un groupe, qu’elle est déconnectée ? Le voici philosophe, étranger parmi les siens, semblable à un Descartes ou à un Husserl.
Se concentrant tout entier dans ce nouvel outil qu’il découvre, Beluck plisse les yeux, puis les ouvre en grand. Que voit-il ?
Des bâtiments aux façades sales, sans motif ni inscription. Ils lui paraissent tristes.
– Difficile d’être un vrai philosophe, et d’adopter une objectivité absolue. -  
Comment sont les habitants de cette étrange ville ? Ils paraissent pressés, comme poussés en avant par une force mystérieuse qui leur dicterait leur chemin. Ils ne paraissent pas être attentifs les uns aux autres. Certains parlent et sourient dans le vide. D’autres regardent des vitrines vides. – Beluck ne peut pas voir les marchandises virtuelles. -  
Cette masse paraît s’animer et se mouvoir comme sous l’effet d’un marionnettiste invisible. Les ficelles les tirent en avant ou en arrière, leurs membres se déplacent  d’une manière presque saccadée. Beluck se dit que c’est comme s’ils n’étaient pas réellement présents. Beluck ne parvient pas à s’expliquer cet étrange sentiment.
Il se demande si ce n’est pas plutôt lui qui déforme tout. Beluck n'est pas habitué à voir sans smart-lenses. Il se sent un peu comme un malvoyant qui, ayant ôté ses lunettes, voit la réalité de façon floue. Comment le philosophe peut-il se fier à ses propres observations ? Comment savoir si celles-ci sont objectives, et non pas déformées par la force de l’habitude et les idées communément admises ?
Soudain, les pensées foisonnantes de Beluck se figent. Il lui semble apercevoir, parmi cette foule, un étrange personnage. Il se tient bien droit, le regard portant au loin.


***


Nurik se dirige vers son café préféré. Perdu dans ses pensées, il garde les yeux rivés sur le sol. Il connaît le chemin par cœur. Dans le métro, il voit les gamins le regard scotché sur leurs tablettes, directement en contact-lenses.

Nurik est agacé de se sentir si faible, tant par l’alcool que par cet acte impardonnable d’être parti trop vite de chez lui. Il ne se rappelle pas être sorti un jour de chez lui sans smart-lenses. Il se laisse aller à des idées saugrenues et la fatigue l’emmène vers une profonde réflexion. Et puis sans smart-lenses, il ne peut bénéficier d’informations cruciales alors il tente d’occuper son esprit comme il peut. Il ne peut plus voir s’afficher devant ses yeux les horaires du métro, les publicités, les directions à prendre qui s’adaptent à ses goûts. Il repense avec nostalgie à ces rues balisées, confortables et modulables au gré de la marche. Aujourd’hui, il n’a plus de GPS, de moyen de communiquer, d’interactions avec son environnement. Bref, il ne peut plus profiter de ce que l’État avait mis en place depuis la révolution de 2026.
Nurik repense à ses cours d’histoire contemporaine, celle du XXIe siècle. On lui a rabâché pendant des années que ces dernières décennies ont été marquées par de tels bouleversements que l’étude de l’histoire ancienne n’est guère importante à l’heure actuelle. Seul compte le présent, en concédant qu’il se construit grâce au passé proche. La voix de son professeur d’histoire résonne dans sa tête : « Lors de la révolution de 2026, la France a été furieusement chamboulée. Ainsi, les principales institutions politiques et morales furent remises en cause. Le peuple se souleva et sous l’égide du révolutionnaire Carnom - un Français ayant longtemps travaillé dans la Silicon Valley de San Francisco - une nouvelle idéologie apparut : la macrotechnocratie, surnommée la carnomcratie, en hommage à Carnom lui-même. Personne ne comprend vraiment le terme « macrotechnocratie » mais je vais vous le définir sommairement. L’idée est simple ; « macro » car il s’agit de viser la majorité du peuple, c’est une politique qui englobe tout le monde. « Techno » décrit simplement le monde qui nous entoure, truffé d’électronique. Et enfin « cratie » car on a transformé un concept en une politique, en décidant que la technique et la science seraient hégémoniques. L’effort fut général et l’État déclara que la technologie serait dorénavant sous domaine public. Cela signifie que l’État a racheté toutes les entreprises françaises privées innovants dans l’ultra-moderne et la technique avant-gardiste. Ceci a permis de générer d’énormes bénéfices et d’installer un peu partout des infrastructures inédites. Cette carnomcratie concerne désormais tous les individus. Chaque citoyen est libre de jouir d’avancées technologiques rendant confortable la vie quotidienne. »
Nurik admire Carnom. Grâce à lui, pour un grand nombre de gens, il est possible de travailler de chez-soi. A l’extérieur, les robots aident les ouvriers, les hôpitaux bénéficient d’équipements haut de gamme et le savoir s’inculque grâce aux ordinateurs capables de cibler les élèves en fonction de leurs compétences personnelles. En outre, le verbe « travailler » ne signifie plus la même chose. De nos jours, chaque citoyen, qu’il travaille ou non, reçoit un revenu de base mensuel, communément appelé « revenu universel ». L’idée vient de Scandinavie et a été attribuée à l’Europe afin d’égaliser les revenus et les marchés financiers. D’abord catastrophiques, les résultats furent par la suite prometteurs. Maintenant, c’est Nurik qui en profite. Il travaille tout de même un peu car c’est la loi, mais quoi qu’il advienne, il recevra de l’argent à la fin du mois. Il en est de même pour toute classe sociale et le montant est égal. C’est d’ailleurs pour cela qu’aujourd’hui le jeune homme s’autorise à sortir sans réfléchir. Il est libre de s’accorder des petits plaisirs spontanés, pour son bien-être. La qualité de vie s’est grandement améliorée grâce à ce système. Quelques syndicats soutiennent encore que ce revenu universel mènera à la crise mais Nurik ne s’en soucie guère. L’avenir lui paraît serein.
Le métro s’arrête à l’arrêt demandé par Nurik. Non, en fait, pas par Nurik, par les gens autour de lui qui veulent descendre au même arrêt. Décidément, sans smart-lenses, la vie n’est plus la même.
Nurik se sent plus éveillé maintenant. Soudain, il prend conscience de la morosité de son environnement. Il ne médite plus, il observe et constate un fait alarmant. Tout est grisâtre, sans âme, lugubre voire macabre. Où sont les murs emplis de couleurs chatoyantes s’entortillant avec lenteur et grâce ? Où sont ces publicités sonores, odorantes et enivrantes qui parfument son atmosphère où règnent calme et chaleur ? Où sont ces vitrines de magasins, animées au OLED et vibrantes d’attraction ? Pourquoi les voitures sont-elles aussi laides et bruyantes ? Et surtout, pourquoi a-t-il la migraine ?
Nurik pense à Carnom. Quel génie d'avoir changé le monde ! Que faire désormais sans ces formidables outils optiques ? Il se replonge dans ses pensées, cherche l'exutoire qui le guidera vers l'absolution. Le visage de Carnom lui sourit. Ses yeux brillent et semblent lui apporter une réponse. Nurik se considère comme pleinement intégré à la société. Il n'envisage nullement un retour aux sources. Pour lui, vivre hors de la ville, c'est vivre hors de l'espace ; vivre sans rituels, c'est vivre hors du temps. Et se retrouver ainsi, les yeux vides et l'âme perdue le conforte dans l'idée que sans Carnom il n'est plus rien. Un homme l'observe de loin, il le fixe du regard. Nurik s'en approche.
Beluck observe ce curieux jeune homme. Tout d'abord absorbé par ses pensées, il semble maintenant avoir réalisé que Beluck l'observait.
Beluck se demande ce qui, chez ce jeune homme, l'a attiré. Pourquoi ne ressemble-t-il pas aux autres individus ? Est-ce son physique ? Son maintien ? Cherchant une réponse à son interrogation, sans s'en rendre compte, Beluck va vers le jeune homme.  


C'est Carnom. Du moins, c'est quelqu'un qui lui ressemble. Nurik marche toujours vers lui et s'enfonce pas à pas vers la désillusion car le personnage ne ressemble plus tellement à Carnom. Il s'est trompé. Néanmoins son regard est captivant. Il semble pur, simple, naturel.



Les deux hommes se regardent. Se font face.
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